Le contrat d’alliance
1 avril 2024

Le contrat d’alliance


Exit l’EPC, le clé-en-main ou encore le multi-lots, l’Alliance est à la mode.

Ce type de contrat est grandement utilisé dans la construction en Australie, mis en avant dans les New Engineering Contracts (NEC4 notamment), et également présent aux Etats-Unis sous l’appellation « Integrated Project Delivery ». Et pour cause ! Certains projets permettent une économie de 20% et une accélération de 10%, là où les grands projets sont en général en retard et hors-budget.

Qui est-il ? comment le mettre en place ?

C’est la question que je me suis posée et à laquelle nous allons répondre ensemble.

Une alliance peut être définie comme une méthode d’exécution de projet dans laquelle le maître d’ouvrage travaille collaborativement avec une ou plusieurs sociétés spécialisées (planification, conception, construction, maîtrise d’œuvre) dans une seule et unique équipe intégrée.

A ce titre, tous signent un contrat dans lequel ils partagent les pertes et les gains. Le fameux « pain & gain sharing ».

Bien sûr, cela nécessite beaucoup de confiance et de travailler en bonne intelligence, l’objectif étant le bien du projet plutôt que le bien de l’un ou autre des protagonistes.

Cela implique quelques caractéristiques clés des alliances :

  • un partage des risques et opportunités
  • un engagement de non-réclamation : tous les désaccords sont traités au sein de l’équipe intégrée.
  • un processus de prise de décision établi au service du projet : tous les intérêts commerciaux doivent alors être alignés vers le succès du projet
  • une culture « pas de reproches », c’est-à-dire qu’en cas d’erreurs, il n’y aura pas de reproches mais une recherche conjointe de solution
  • un travail en toute bonne foi, dans la confiance mutuelle
  • de la transparence entre les parties prenantes

Le contrat-alliance

Bien sûr, cela fait envie, mais alors comment le mettre en place, concrètement ?

Pour répondre à cette question, je me suis un peu plus plongé dans la logique du contrat-alliance, par opposition au contrat-échange.

Le livre de référence sur le sujet est celui de Jean-François Hamelin : « Le contrat-alliance ».

Pour résumer l’analyse extrêmement poussée de l’auteur, c’est un réel changement de paradigme.

Le contrat plus habituel, d’échange, sous-tend une transaction : l’un donne de l’argent, l’autre un produit ou service.

Le contrat-alliance est tout autre car caractérisé par un intérêt commun.

Cela produit deux effets essentiels :

  • une agrégation des engagements des alliés (par opposition à un échange dans le contrat-échange)
  • une distribution des résultats de l’activité commune

C’est sur ces deux éléments qu’il faut alors travailler dans le pilotage d’un projet sous forme Alliance.

Contrat échangeContrat alliance
La définition des bénéfices du projet sont différentes entre chacun des acteurs. Cela crée en général un conflit d’intérêt et des comportements d’adversité (« claims »)Les intérêts des allies sont liés au résultat du projet.
Les modifications mènent souvent à un process long de négociation, voire contentieux, allongeant les délais et augmentant les coûts.Les modifications sont partie intégrante du process et sont des moyens d’optimiser le résultat
Droits, devoirs, obligations et relations entre les parties sont définis au contrat. Tout écart peut avoir des conséquences souvent décrites au contrat.Les contrats d’alliance prônent la confiance. Un aspect principal est l’absence de litige, ce qui crée un environnement plus positif dans le projet, basé sur la confiance et un comportement plus productif.
Le niveau de méfiance entre les parties, ainsi que la surveillance étroite et continue des travaux de construction, conduisent en général à un environnement très conflictuel facilitant les comportements opportunistes.Les participants peuvent avoir des intentions cachées en dehors des objectifs du projet, malgré les conséquences juridiques souvent explicitéesLe comportement opportuniste est considérablement réduit : les alliés travaillent ensemble de manière coopérative afin de réaliser le projet et de surmonter les risques.

Les acteurs

Les acteurs d’un contrat d’alliance peuvent être variés, et incluent en général :

  • un propriétaire, qui portera ensuite l’installation. Son appellation anglaise est en général « Owner », en français Maître d’Ouvrage.
  • des entreprises non-opérateur, classiquement contractants, fournisseur, ingénieristes, …

Le partage de la valeur

Un élément important sur lequel travailler est alors la formule de partage de la valeur.

Vous noterez l’appellation « partage de la valeur » et non « mécanisme de prix ». Le paradigme commence déjà là.

Il n’y a plus de prix donné à l’un des alliés, mais bien partage de la valeur, partage des gains et des pertes.

Or, force est de constater qu’un certain nombre non-négligeable de contrats d’alliance que j’ai pu voir jusqu’à présent échoppent sur ce point.

Le mécanisme de prix d’une alliance

Sous couvert d’un titre mettant les parties au même niveau, c’est en réalité une excuse pour le client pour partager au maximum ses risques avec un contractant, au moyen d’un mécanisme de prix qui est simplement de type « coût objectif + bonus/malus » : un coût objectif est défini, et si le contractant fait mieux les gains sont partagés avec le client, et en cas de surcoût, il est partagé entre client et contractant.

Des mécanismes de plafonds sont alors définis pour limiter la responsabilité du contractant.

Le ou les contractants recevront une indemnisation totale de leurs frais liés au projet y compris une part liée aux risques et opportunités. A cela s’ajoute des frais de management (les classiques « corporate overhead ») et une marge.

En cas de surcoût, c’est cette dernière catégorie qui est à risque, mais limitée à ce montant. En cas de meilleur résultat, le bonus vient se rajouter à tout cela.

La prise de décision

Du fait de la nature même du contrat d’alliance, la prise de décision n’est pas l’exclusivité du maître d’ouvrage. Tous les alliés participent ainsi la décision, au moyen d’instances de pilotage à définir.

La gouvernance d’une alliance

D’un point de vue opérationnel, chaque allié a, au sein de sa structure, une équipe dédiée à ce projet correspondant en général à la compétence qu’il apporte à l’alliance.

Une équipe commune, appelée parfois Equipe Intégrée, pilote alors la cohérence entre les différents lots. Elle est composée de représentants des différents alliés, l’un en prenant la tête : le Alliance Manager.

Cet Alliance Manager rend alors compte à une équipe de pilotage de l’alliance composée des représentants des différents alliés.

Ce schéma est à l’image d’une société projet ad-hoc (ou SPV – Special Purpose Vehicle), qui sera pilotée par un comité regroupant les associés, tandis que le projet sera piloté par une équipe opérationnelle.

Choisir les alliés

La question est ensuite de savoir qui sont les alliés et comment ils se choisissent.

Tout d’abord, cela vient d’un maître d’ouvrage qui a un projet à réaliser.

Dans un cas classique – non-alliance – il y aurait un design préliminaire, qui permettrait de lancer des appels d’offres, et de retenir les entreprises travaillant pour le maître d’ouvrage.

Dans le cas de l’alliance, la sélection des alliés ne peut se faire sur des comparatifs de coûts. Seule la compétence doit être prise en compte.

Les phases d’une alliance

De plus, comme les différentes entreprises sont liées, il doit d’abord y avoir une phase de travail conjoint pour définir les contours de l’alliance :

  • les instances de pilotage
  • les contours du projet
  • les rôles et responsabilités de chacun au sein de l’alliance
  • les critères de performance de calcul des pertes et gains
  • le coût objectif

Cette phase est souvent appelée « Alliance intermédiaire », en ce sens que chacun des alliés peut, à ce stade, décider de s’en aller.

Vient ensuite le temps de l’alliance et de la livraison du projet : le design n’est pas figé car toute optimisation est recherchée.

Quand mettre en place une alliance

Si l’alliance apparait séduisante, elle ne va pas remplacer les autres modes de fonctionnement. Notamment, l’alliance est surtout pertinente quand les conditions suivantes sont remplies :

  • interfaces complexes et/ou risques inconnus
  • challenges techniques demandant des innovations technologiques
  • gestion complexe des parties prenantes
  • durée totale du projet très réduite
  • périmètre difficile à définir, ou bien changements nombreux anticipés
  • le maître d’ouvrage a une valeur ajoutée importante
  • projet au budget conséquent pour justifier l’effort initial

Un montage complexe

Aussi intéressante que l’alliance puisse paraître, elle est très difficile à mettre en œuvre. En effet, les maîtres d’ouvrages et les contractants sont des entreprises aux profils très différents, à commencer par leur bilan. Celui d’un maître d’ouvrage est en général beaucoup plus fourni que celui d’un contractant à la structure plus légère mais aussi plus fragile.

Par ailleurs, le maître d’ouvrage aura bien souvent des revenus réguliers sur plusieurs années liés à l’exploitation du résultat du projet, alors que le contractant attend de l’argent pour régler son personnel et les achats sur une période beaucoup plus courte.

Les objectifs étant fondamentalement différents alors que l’alliance demande justement d’avoir des objectifs communs et pas uniquement alignés, chacun travaillant pour le bien de l’alliance, ce montage est peu répandu.

De plus, le rôle du maître d’ouvrage peut être finalement assez restreint. Alors que l’alliance demande à chacun d’apporter une contribution commune, ce mode de contractualisation sera privilégié quand la valeur ajoutée du maître d’ouvrage est importante, au risque d’avoir in fine un contrat-échange déguisé en contrat-alliance.

Etat des alliances en France

En France notamment, il y a peu d’alliance. Peut-être est-ce dû à la culture contractuelle française, où la confiance et l’égalité entre les parties n’est pas usuelle ? Ou bien est-ce lié à la hiérarchie entre les entreprises, exacerbée par les noms même des entreprises : comment un maître d’ouvrage pourrait s’allier à un maître d’œuvre ? Serait-ce le cas pour un donneur d’ordre ? Et que dire d’une alliance avec un sous-traitant ?

Un changement de dénominations aiderait probablement à changer les mentalités.

  • Jean-Charles Savornin
    Jean-Charles Savornin

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