Exportateurs : Quels délais pratiques pour une émission de garanties à l’international ?
29 novembre 2023

Exportateurs : Quels délais pratiques pour une émission de garanties à l’international ?


Jehanne-Ella LEBOURG, Avocat à la Cour
Jehanne-Ella LEBOURG, Avocat à la Cour

Dans le cadre d’un marché ou d’une transaction commerciale internationale, il peut être parfois urgent pour un exportateur (mais aussi un importateur) de fournir une garantie. Ainsi, dans le cadre d’un marché public, les garanties de soumission, mais aussi de restitution d’acompte, de bonne fin, de paiement… 

Cependant, la réalisation d’une émission à l’international par une banque ne peut pas toujours répondre sans délai aux attentes de l’exportateur. Plusieurs étapes de validation incontournables et assorties de temps incompressibles doivent être satisfaites au préalable (Compliance, financières et risques, juridiques et opérationnelles). De plus, si l’émission est faite indirectement via une banque locale, les délais peuvent encore s’en trouver affectés. 

Ainsi, la connaissance – dans les grandes lignes – des contraintes d’une banque en la matière par l’exportateur/donneur d’ordre, ne peut que lui conférer la compréhension et capacité d’anticipation pertinentes en faveur de la fluidité du traitement de sa demande.  

Les aspects Compliance 

En premier lieu, les banques sont soumises à une série de règles impératives souvent lourdement sanctionnées, figurant dans une série de textes internationaux (notamment relatifs aux Sanctions), européens et nationaux (en France, les art. L561-2 et seq. du Code monétaire et financier (CMF) essentiellement). Ces règles de conformité dites « compliance » leur imposent notamment de connaître en détails les parties prenantes à une opération à laquelle elles participent, mais aussi tous les éléments de cette opération : le propos et contexte de la transaction sous-jacente, le client donneur d’ordre et son actionnariat, les bénéficiaires actuels ou potentiels de la garantie, la banque correspondante (lorsque l’émission passe par une banque tierce locale), mais aussi d’autres éléments comme les éventuels sous-traitants ou apporteurs d’affaires, le transporteur et l’identification du moyen de transport, la route empruntée (pays de transit le cas échéant), le lieu d’exécution de l’opération, etc. 

Les risques pour la banque contre lesquels ces règlementations visent à la prémunir, sont principalement de trois ordres : participer à son insu à une opération de blanchiment d’argent, tomber sous le coup de sanctions internationales, européennes ou locales, ou d’embargos, ou participer au financement du terrorisme.

En cas d’infraction à ces règles de conformité, la banque s’expose à des sanctions pénales (peines financières élevées, privation de liberté pouvant aller jusqu’à la réclusion criminelle à perpétuité…), administratives (révocation de l’agrément bancaire notamment) et/ou règlementaires/disciplinaires (sanctions ACPR) ainsi que financières, à une dégradation de son rating, entraînant presque toujours une atteinte à son image et/ou à sa réputation.

L’étape compliance consiste ainsi pour l’essentiel à effectuer des vérifications dites KYC (« Know your customer« ) et KYT (« Know your transaction« ) fondées sur le rassemblement de documents « écrits et probants » complets, mécaniquement sources de délais côté demandeur comme côté banque.  

De plus, après une première analyse des documents usuels d’identification des sociétés et de leurs détenteurs (essentiellement Kbis, registre des actionnaires, carte d’identité et justificatif de domicile des actionnaires personnes physiques directs et indirects à plus de 10 ou 25% selon le cas, organigramme certifié du groupe jusqu’aux bénéficiaires effectifs ultimes), une analyse complémentaire plus poussée sera en principe effectuée sur l’environnement de l’opération et les parties. Le délai de celle-ci dépendra de l’appréciation qualitative portée par la banque sur ces éléments, et la nécessité ou non d’une « escalade » en interne.

En matière de garanties internationales, la banque vérifiera globalement deux points: la cohérence de la transaction dans son ensemble (notamment entre l’activité officielle des parties et la nature de la transaction sous-jacente, chemins de transport empruntés…), et la présence éventuelle d’éléments atypiques par rapport à des opérations similaires (justification de l’urgence de la demande, multiplicité de petites émissions, complexité injustifiée du montage, prix hors marché, clauses de transfert du bénéfice de la garantie sans accord préalable de la banque…). A ce titre, la démarche de la banque peut être perçue comme inquisitive et être source de questionnements ou de blocages d’informations de la part du client. Cette analyse, qui peut rapidement s’accroître en complexité, peut par conséquent mettre plusieurs jours voire plusieurs semaine(s) à être réalisée selon le degré de coopération du donneur d’ordre.

-> Comment éventuellement accélérer ces délais ?

  • D’une part, il est toujours préférable de s’adresser à une banque auprès de laquelle les KYC sont déjà en place et ne requerront qu’une simple mise à jour ou uniquement relative aux éléments liés à l’opération ;
  • A défaut, demander très en amont la liste précise et détaillée des pièces justificatives à remettre à la banque, sachant que l’obtention de certains documents, notamment d’identité, de personnes placées très en amont de la structure d’un groupe peuvent être source de délais ou ne jamais être délivrés ;
  • D’autre part, il faut noter que, dans certains cas ne présentant qu’un faible risque de non-conformité, la loi française (art. L561-9 du CMF) prévoit des « mesures de vigilance simplifiées » ; tel est le cas lors d’une absence de complexité d’opération, une connaissance préalable des parties ou leur régulation existante au titre des mêmes risques ; l’utilisation de cette procédure est toutefois en pratique à la seule main de la banque ;
  • En cas de pluralité de bénéficiaires potentiels non identifiés à la signature, s’accorder sur une « white list » (mais qui sera toujours sujette dans le futur à sa conformité aux règlementations) ;
  • En tous les cas, le donneur d’ordre devra s’être préparé en interne à délivrer rapidement l’ensemble des justificatifs requis, et à répondre au plus vite aux éventuelles questions complémentaires, l’absence de tout document ou information, quelque secondaire qu’ils puissent paraître, pouvant bloquer la validation Compliance.

Les aspects financiers et risques 

Les aspects financiers et risques sont traités au sein respectivement du comité de crédit et du comité des risques d’une banque, lorsque ses procédures internes prévoient qu’ils doivent l’être. 

Le comité de crédit est un organe de décision de la banque, qui statuera sur l’accord ou le refus d’une demande de financement ou de garantie, et qui a notamment pour fonction de fixer ou d’approuver le pricing proposé par le banquier de la relation. Le calcul n’est pas en lui-même source de délais, mais plutôt la date de tenue du comité (dans certains établissements une fois tous les 15 jours ou par mois).

Le délai risque également d’être allongé si l’émission est indirecte (i.e. si le bénéficiaire exige de recevoir la garantie de sa banque locale, sous la contre-garantie de la banque du donneur d’ordre) car deux comités de crédit devront se tenir. En effet, le pricing global en cas d’émission indirecte est composé de deux pricings individuels: (i) celui chargé par la banque du donneur d’ordre (banque contre-garante) pour le risque pris sur le donneur d’ordre, et (ii) celui de la banque locale dite « de premier rang » pour le risque pris sur la banque contre-garante, les deux banques fissent-elles partie du même groupe. Et c’est une notion comptable (et non juridique) qui est retenue, rendant ce process de double comité également applicable quoique le garant de premier rang ne soit par exemple qu’une succursale du contre-garant.

Quant au comité des risques, soumis à ces mêmes intervalles temporels, il a pour fonction d’évaluer la demande d’émission et le pricing proposé en fonction de l’émission demandée, au regard de la stratégie et de l’appétence de la banque en matière de risques financiers (art. L511-92 et seq.).

-> Comment éventuellement accélérer l’ensemble de ces délais ?

En cas d’urgence, il faut savoir que les banques disposent en général de procédures accélérées d’approbation ou de comités exceptionnels, en principe en dessous d’un certain montant (mais toujours à la main de la banque qui tiendra aussi compte de la relation client concernée). Il conviendra bien entendu d’adresser une demande expresse et justifiée en ce sens.

Les aspects juridiques 

​​Les documents juridiques relatifs à l’émission devront être rédigés, négociés, revus et approuvés par les services juridiques de la ou de chaque banque, voire des conseils externes. De quels documents s’agit-il ?

  • La garantie dite « de premier rang », entre la banque émettrice et le bénéficiaire ; ce document devra convenir aux trois intervenants (le donneur d’ordre, la banque et le bénéficiaire) ;
  • La lettre de demande d’émission, signée par le donneur d’ordre, portant en annexe ou en son corps le texte de garantie à émettre, et stipulant son engagement de remboursement envers la banque en cas d’appel de la garantie ; ce document devra être revu par ses deux parties ;
  • Dans les schémas d’émission indirects seulement, une contre-garantie entre banque du donneur d’ordre (contre-garante) et banque du bénéficiaire (banque locale de premier rang) ; ce document standard entre banques, devra encore être négocié entre les deux banques.
  • Enfin, il peut aussi être nécessaire pour la banque d’obtenir un ou des avis juridique(s) de cabinets d’avocats français et/ou locaux selon le contexte.

-> Comment éventuellement raccourcir ces délais ?

Globalement, deux éléments peuvent y contribuer :

  • Éviter les clauses sujettes à discussions, à escalade ou à rejet par les banques (notamment clauses de transfert inconditionnelles et clauses de juridiction non standard) ;
  • Mettre en place, lorsque les émissions sont récurrentes, un contrat-cadre d’émission pour les « industrialiser », permettant de définir par avance le cadre juridique et permettant des émission individuelles de garanties « prêtes à émettre ».

Les aspects opérationnels 

Nous n’allons mentionner ici qu’un des aspects opérationnels des émissions, technique et peu connu, dans le cadre des émissions indirectes. Dans ces types d’émission (via une banque locale et non directement depuis la banque du donneur d’ordre), les aspects opérationnels gérés par le Middle et le Back Office, se complexifient et devront donc être fortement anticipés. 

Les communications entre banques sont faites au moyen de messages-textes de garanties ou contre-garanties transitant par le système SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication). Or pour ce faire, il est nécessaire qu’une « clef SWIFT » soit ouverte entre les deux banques, ce qui n’est pas toujours le cas même au sein d’un même groupe bancaire… 

L’ouverture d’une clé SWIFT impliquera deux étapes principalement, qui peuvent prendre minimum une semaine/quinze jours au total: une validation de la demande de clef par le département Compliance de la banque concernée, et un test opérationnel du fonctionnement de la clef entre les Middle Offices des deux banques.

-> Comment ces délais peuvent-ils être écourtés ?

Sur ce point spécifique de la clef SWIFT, il conviendrait de s’assurer très en amont, à savoir dès la demande d’émission, de :

  • l’existence d’une telle clef SWIFT entre les banques pressenties, ou
  • à défaut, la capacité de la banque de premier rang à en ouvrir une rapidement selon ses procédures internes.

​Ces deux actions sont certes du ressort interne de la banque, mais il peut être utile pour le donneur d’ordre d’en être averti et savoir les anticiper par ce type de questions.En fin de compte, pour une émission internationale, si l’ensemble des indicateurs étaient au vert à la satisfaction de la banque (KYC effectuées, dates de comités coïncidentes, utilisation d’une documentation standard, clef SWIFT ouverte…), c’est un délai minimum de quelques jours qu’il faudrait raisonnablement prévoir, pouvant aller dans le cas contraire jusqu’à un mois ou plus selon la complexité d’une opération ou le degré de coopération du donneur d’ordre.

Article rédigé par Jehanne-Ella LEBOURG, Avocat à la Cour, Associée fondatrice Cabinet FXT Law

  • Jean-Charles Savornin
    Jean-Charles Savornin

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