Réclamer, c’est mal ?
Notification de réclamation au titre d’un contrat de construction
Par Romain Guidez
Enfants, on nous apprend qu’il ne faut pas réclamer. C’est peut-être pour cette raison que les entrepreneurs français engagés dans des projets de construction ont tendance, pour beaucoup, à ne pas notifier de réclamation (ou « claim ») au cours de l’exécution du projet. Plus sérieusement, c’est principalement par volonté de ne pas froisser et de maintenir de bonnes relations avec le maître d’ouvrage ou simplement par manque de réflexe contractuel que les entrepreneurs, face à une difficulté, se disent « on se concentre sur la technique et les travaux, on fera une réclamation plus tard». Mais qu’en est-il vraiment ? Est-il mal de réclamer en construction ?
Réclamer n’est pas froisser
Si le contenu d’un contrat de construction pouvait se résumer grossièrement, ce serait en trois points principaux : 1) l’objet de la prestation, 2) le prix de la prestation, et 3) le partage des risques entre l’entrepreneur et le maître d’ouvrage.
Attardons nous sur le troisième point. Dans le cas où un risque porté par le maître d’ouvrage se manifeste et cause un préjudice à l’entrepreneur, le contrat prévoit généralement que l’entrepreneur a le droit d’être compensé du préjudice subi (i.e. paiement additionnel et/ou décalage de la date d’achèvement des travaux), c’est ce qu’on appelle la réclamation. Réclamer est donc un mécanisme prévu au contrat consistant à faire valoir un droit.
Comme le rappelle clairement l’article 1101 du Code Civil français, « le contrat est un accord de volontés ». Un maître d’ouvrage qui signe un contrat de construction (qu’il aura le plus souvent écrit et/ou proposé) accepte donc ce mécanisme. Pourquoi alors serait-il froissé le jour où l’entrepreneur lui notifie une réclamation ?
Réclamer est utile au projet
Notifier une réclamation c’est, avant tout, faire savoir au maître d’ouvrage l’occurrence d’un risque contractuellement porté par ce dernier, par exemple lui faire savoir que des plans nécessaires au démarrage d’une activité sur le chantier n’ont pas été envoyés.
Il est évident qu’une notification précoce permettra au maître d’ouvrage, quand cela est possible, de mettre en place les parades adéquates afin de limiter les impacts planning et coût liés à l’occurrence du risque. Dans l’exemple précédent, le maître d’ouvrage pourra exiger à son bureau d’étude de finaliser les plans nécessaires au plus vite.
D’autre part, une notification, et donc un traitement des réclamations au « fil de l’eau » permet:
- Une justification et quantification plus aisée du préjudice subi : les faits et preuves sont « frais », les personnes sont toujours présentes,
- Une compensation, quand elle est justifiée, plus rapide de l’entrepreneur : l’impact du préjudice sur sa trésorerie s’en trouve alors atténué,
- Une meilleure visibilité quant au coût à terminaison et à la date d’achèvement du projet.
Ne pas réclamer est préjudiciable
Si les deux arguments précédents ne suffisent pas à convaincre, celui-ci devrait faire mouche.
Un entrepreneur qui tarde à notifier une réclamation au maître d’ouvrage prend le risque que cette réclamation soit invalidée, et donc le risque de ne pas être compensé du préjudice subi.
En effet, la plupart des modèles de contrats de construction internationaux imposent une durée maximale, comptée à partir de la découverte du fait générateur de la réclamation, pendant laquelle il est permis de réclamer (28 jours pour les contrats FIDIC et 8 semaines pour les contrats NEC3 ECC). Passée cette période, l’entrepreneur perd son droit à réclamation et le maître d’ouvrage est dégagé de toute responsabilité. C’est la forclusion. Ce principe peut paraitre quelque peu injuste pour l’entrepreneur mais est parfaitement applicable en France et dans beaucoup d’autres juridictions.
Conclusion
Les anglo-saxons l’ont bien compris, réclamer n’est pas mal. Il s’agit d’un mécanisme faisant partie intégrante de la gestion d’un contrat de construction. La réclamation est dans l’intérêt de l’entrepreneur et plus globalement dans l’intérêt du projet et ne doit être vue comme une agression. Notifier sa réclamation sans attendre la fin du projet est une première condition pour augmenter ses chances de succès. La seconde condition est de respecter un certain formalisme. Ce point fera l’objet d’un prochain article.
Références :
- Code Civil français, article 1101
- Contrats FIDIC (édition 1999, Red, Yellow and Silver Books), clause 20.1
- Contrats NEC3 ECC (Engineering and Construction Contract), clause 61.3
- International Construction Contract Law, Lukas Klee
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Jean-Charles Savornin
du contract management
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