Le Forensic Planning expliqué par Xavier Leynaud
18 novembre 2016

Le Forensic Planning expliqué par Xavier Leynaud


Jean-Charles : Bonjour Xavier, vous intervenez en « Forensic Planning ». Pouvez-vous nous expliquer ce que cela signifie ?

Xavier : Bonjour Jean-Charles, ces termes ont été utilisés pour la première fois en 2009 au cours d’une conférence pour désigner le métier d’analyste à posteriori des retards de projet. C’est une analogie avec la science « forensic » qui pour les anglo-saxons désigne la médecine légale. Il s’agit donc de réaliser l’autopsie du déroulement du projet. Attention, il ne faut pas confondre avec le « Forensic accounting » qui désigne dans le monde anglo-saxon l’expertise en fraudes fiscales ou comptables.

Jean-Charles : Donc un « forensic planner » est un planificateur spécialisé dans l’analyse de retards. En quoi cela consiste-t-il plus précisément ?

Xavier : Une analyse de retard, pour faire simple, consiste à identifier à postériori les causes et les effets des retards intervenus sur le projet. Cela sert à déterminer quelle est la part de responsabilité de chaque acteur dans le retard global. Il existe plusieurs méthodes pour cela ; les données disponibles déterminent la méthode utilisable.

Schématiquement, on va procéder à une analyse employant une méthode de type « effet constatés et recherche de la cause », ou bien de type « effet et cause ». Vous noterez qu’un retard est souvent constituée de plusieurs retards, et la nature de chacun de ces retards peut nécessiter l’emploi de l’un ou de l’autre type de méthodes.

Jean-Charles : Pouvez-vous illustrer ?

Xavier : L’analyse du retard du projet de construction de ma maison va déterminer que le mois de retard a été pris lors de l’installation du toit. L’analyse plus approfondie va déterminer qu’il est dû à une erreur du couvreur qui s’est trompé de tuiles l’obligeant à les remplacer. C’est une analyse effet (1 mois de retard) et cause (erreur du couvreur).

Jean-Charles : Et l’analyse cause et effet de la construction d’une piscine qui a pris du retard durant l’hiver pourrait déterminer que les intempéries ont eu pour effet un retard d’un mois sur le coffrage béton de la piscine puis qu’une livraison tardive de carrelage a retardé de 15 jours la pose. Donc les causes intempéries et livraison tardive entrainent un effet d’un mois et demie de retard.

Xavier : Tout à fait. La réalité est évidemment plus complexe, raison pour laquelle c’est un métier. En particulier, il y a dans toute analyse retard la nécessité de tenir compte du chemin critique et il est important de savoir si le chemin critique est déterminé à priori, à postériori ou s’il a été modifié pendant la vie du projet, qui est le cas le plus fréquent.

Jean-Charles : Quand utilise-t-on l’analyse de retard ?

Xavier : Majoritairement pour les réclamations délais, pour les dossiers d’assurance suite à accident et pour la phase post contractuelle des disputes : l’arbitrage. C’est utilisé pour attaquer ou pour se défendre.

Jean-Charles : Y’a-t-il un autre grand concept à connaître concernant l’analyse de retard ?

Xavier : Oui, il y a également la notion de « Concurrent Delay » ou « Retard concomitant« . En France on a l’habitude sur les chantiers de dire que le premier qui déclare et reconnait son retard a « perdu ». Les anglo-saxon ne le voient pas du tout comme cela. La notion de retard concomitant fait que le retard attribué à une partie est diminué du retard que l’autre partie aurait pu prendre en même temps que ce soit ou non sur le même élément du projet. En effet, sur la plupart des chantiers il y a en général plusieurs chemins dans le réseau de tâches qui s’exécutent simultanément. Donc, si je suis en retard sur le toit d’un mois, et que le maître d’ouvrage me livre les fenêtres en retard de trois semaines, et que tout cela a lieu au même moment dans le temps, alors l’analyse pourra conclure si le chemin critique passe par ces deux branches que je ne peux être responsable que d’une semaine de retard.

Jean-Charles : Concept très intéressant s’il en est et qui doit apporter beaucoup de déconvenues à certains. Ce métier répond-il à des exigences normatives ou réglementations ?

Xavier : Normative non, mais des références oui. Elles sont aujourd’hui anglo-saxones. Une première américaine de l’AACEI (American Association of Cost Estimation International) et une autre de la SCL (Society of Construction Law) britannique. A noter que ces deux références dans la profession que sont la « RP 29R03 Forensic Schedule Impact Analysis » de l’AACEI et le « Delay and Disruption Protocol » du SCL vont être traduites en français et l’objectif est qu’elles soient officiellement disponibles à la fin du 1er semestre 2017. J’ai le plaisir de participer à ces traductions et je vous tiendrai donc informé.

Jean-Charles : Qui doit parcourir ces documents de référence de la profession ?

Xavier : Pour ceux qui ne pratiquent pas le planning en tant que professionnel, il faut lire le « Delay & Disruption  Protocol » seulement. La 29R03 c’est très technique, donc utile pour les professionnels de la planification, les autres auront des difficultés car c’est véritablement un « mode d’emploi » pour faire une analyse dans les règles de l’art.

Jean-Charles : Pour finir, à quel moment du projet réalise-t-on une analyse des retards ? Seulement à postériori ?

Xavier : Il est bien évident qu’une analyse des retards se fait prioritairement à postériori car le retard que l’on analyse doit être avéré. Cela ne veut pas dire qu’on se place toujours à la fin du projet. On peut chercher à évaluer l’impact d’un retard pris à un instant T du projet alors qu’il n’est pas fini. Cependant il est important de préciser que si le retard n’est pas avéré, c’est-à-dire qu’il reste théorique et planifié, on est plutôt dans de la planification « classique » que dans de l’analyse de retard.

Jean-Charles : Une petite illustration pour finir s’il vous plait ?

Xavier : Imaginons que j’analyse les retards de mon projet de maison au moment où l’évènement générateur de retard arrive. Le couvreur vient de terminer le toit et je constate qu’il ne s’agit pas des bonnes tuiles. Je vais demander au couvreur quand je vais terminer et il va me donner par exemple une estimation de 1,5 mois de retard : 15 jours pour avoir les tuiles et un mois pour les poser. L’impact prévu sera donc d’un mois et demi. Aujourd’hui la maison est terminée et mon assureur veut réclamer du retard au couvreur car j’ai utilisé une assurance que j’avais contracté pour me loger en attendant la livraison de la maison. Celui-ci fait faire une analyse de retard qui conclue que le couvreur est responsable d’un mois de retard, car finalement il a trouvé des tuiles le lendemain et la pose s’est faite en suivant. Il n’y a donc eu qu’un mois de retard « avéré ».

Jean-Charles : La notion de retard « avéré » est donc un élément crucial du métier.

Xavier : Oui et c’est souvent ce qui prend le plus de temps à expliquer concernant les extensions de délais pour lesquelles une analyse serait nécessaire. Quand l’accorder ? Tout de suite ? Quand le retard est « avéré » et terminé ? En deux fois car l’entrepreneur doit « relâcher ses risques » comptablement et ne peut pas attendre pour son extension de délai ? Cela fait le charme des métiers du contrat et de celui de l’analyse retard. Une éternelle discussion et pas de solution miracle. Juste de la pratique.

Jean-Charles : Merci Xavier et à bientôt pour nous parler d’autres sujets connexes.

A propos de Xavier Leynaud

Après une carrière réussie dans la gestion de projets industriels et d’aménagements urbains complexes dans un cabinet de conseil en gestion de projet, Xavier LEYNAUD a pris la direction de la planification et de la maîtrise des plans de charge chez Alstom Power Hydro Europe.

Après 4 ans d’une expérience riche et intense de direction dans un grand groupe international, il a choisi à la faveur d’une mutation en province de retourner dans le secteur du conseil en fondant le cabinet LEYNAUD & ASSOCIES.

Xavier est reconnu à la fois pour ses compétences techniques et sa persévérance dans la recherche de la meilleure solution que pour sa convivialité et son leadership.

Associé Senior de « Leynaud & Associés », Xavier est en charge de la gestion et du développement du cabinet et de la garantie de l’expertise technique.

  • Jean-Charles Savornin
    Jean-Charles Savornin

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